Après l’échec, vouloir, pouvoir se reconstruire.

L’Association « Chrétiens divorcés, chemins d’Espérance » a organisé une conférence avec Sœur Véronique Margron, dominicaine, théologienne et présidente de la Conférence des religieux et religieuses de France, le samedi 30 mars 2019 au Couvent des Franciscains à PARIS.

L’échec, le malheur, la déroute de la vie, sont tenaces…on ne s’en relève pas toujours, c’est donc grave.

L’écriture est une compagne

Le pape François nous présente la Parole comme une compagne de voyage. En fait, il nous propose davantage qu’une lecture biblique, même très savante ou exégétique… Il nous propose un autre rapport aux textes…il n’instrumentalise pas les phrases de la bible…Il ne nous faut pas chercher dans ces textes des maîtres, mais des compagnes et compagnons de route et c’est avec les autres qu’on ouvre la Parole. Il n’y a pas de mode d’emploi (méfiance des apports Dvpt personnels). La Bible raconte la vie de personnes qui ont souvent échoué, comment le Seigneur les accompagne en les faisant sortir « d’Egypte », en les conduisant au désert, et à travers le désert à la terre promise.  Ce sont pourtant des vies marquées par la trahison, la violence, l’adultère, et toutes les ruptures d’amour, des événements que nous vivons aussi. Alors je peux croire à cette parole car je peux y infiltrer ma propre expérience. Le pape cite de nombreux « écrits de sagesse » et en particulier le livre de Job. «  Maudit soit le jour qui m’a vu naître » s’écrit Job sur son tas de fumier après avoir tout perdu, tout. Et pendant 30 chapitres, Job est en colère et lance sa plainte au visage de Dieu. Job refuse de considérer que le malheur  qui s’est abattu sur lui a été causé par ses propres péchés…même si le discours de ses amis tente des explications à la cause de son état. Il  refuse de se soumettre à cette idée…Quelle est la réponse de Dieu : le récit de la création dans toute sa beauté originale. Alors Job décrit «  maintenant, mes yeux ont vu le seigneur », un peu comme les disciples d’Emmaüs qui reconnaissent Jésus à la fraction du pain.

Traverser l’épreuve : que tirer des livres de sagesse ?

  • Il est légitime d’être en colère. C’est  une énergie de vie si on ne l’oriente pas contre soi. (Donner de la place à l’expression de la colère dans nos groupes de parole et d’accompagnement des séparés/divorcés). «  Ce qui m’arrive n’est pas normal ».  Il faut mettre des mots sur les choses et raconter à quelqu’un permet d’entendre ses propres mots (maux) : c’est mettre en récit ce qui arrive.  Cela peut durer longtemps. Il ne faut pas avoir peur de ses sentiments, de sa colère. Et Dieu supporte bien la colère de ses créatures. On peut traverser des périodes de doute : « Où étais tu Seigneur ? » – voir question p 3
  • Traverser nécessite des compagnons, des amis qui ne sont pas là pour nous conseiller, juste qu’ils ont des regards spéciaux :
    •  Des regards d’amour : des personnes qui nous aiment, qui nous estiment pour ce que nous sommes.
    • Des regards de Foi : des personnes qui vont croire en nous, même si elles ne savent pas comment
    • Des regards d’espérance : des personnes qui espèrent que de la vie va revenir malgré tout. Et qui sont aussi des « témoins parlants » que la vie revient.
  • Traverser, c’est consentir à changer ; accepter que les repères d’hier soient transformés par le réel de ce que l’on est en train de vivre :
    • La douleur appelle le changement
    • L’appel à la vie nous demande de changer

La vie ne peut pas advenir que par ce changement… il faut transformer nos certitudes pourtant bien sincères, au profit d’une attitude plus artisanale, voire chaotique. Admettre que le temps des certitudes est derrière nous, car elles sont obsolètes, voire erronées, car elles n’englobent pas tout le réel de nos vies.

  • Renoncer aux certitudes au profit des suretés, suretés que peut apporter le Seigneur, ce Dieu qui nous accompagne dans tous nos méandres. C’est une sécurité de l’âme et du corps. Des hommes et des femmes témoignent de cette sûreté en un Dieu compagnon, qui n’a pas d’autre projet que de nous trouver vivants pour pouvoir nous fier à nouveau, faire confiance. Etre vivant, c’est croire que nous pouvons faire de la place à l’incertitude dans nos vies. C’est à partir de ces incertitudes que de la vie et du projet peuvent renaitre. C’est courir le risque d’exister vraiment et faire face aux aléas de la vie. C’est être capable d’accepter une certaine incertitude. Etre vivant est toujours un risque, un déséquilibre. Voir question p 3
  • Consentir à nos ambivalences. Ambivalence des sentiments : « je voudrais pardonner, mais je n’y arrive pas ». Ce n’est pas grave car Dieu s’en occupe, il fait son œuvre et nous ne savons pas comment. Consentir à notre humanité fragile, et avoir besoin des autres pour traverser.
  • Faire tout son possible et seulement son possible. Se poser la question de ce qui est possible et de ce qui ne l’est pas. Laisser de côté de qui n’est pas possible, car nous ne sommes pas appelés à l’héroïsme. Dieu s’occupe de l’impossible. Le possible n’est pas figé, il peut se restreindre ou s’élargir. Ce sont parfois nos compagnons qui peuvent aider à discerner ce qui est possible pour moi de vivre aujourd’hui …et remettre à Dieu ce qui ne l’est pas. Qu’est-ce que je peux et désire vivre aujourd’hui ? voir question p 3
  • Traverser, c’est retrouver du sens à sa vie
    • Le sens comme « un goût », du goût de vivre. Quel sens, quel « goût » donner à ma vie, quelle saveur ? Quelle sensation puis-je éprouver aujourd’hui (repas, ballade… ?). Le goût d’aujourd’hui me donne du courage. Si l’autre a perd le goût, il faut aller le chercher pour lui.
    • Le sens comme «  signification ». Il ne s’agit pas de donner une signification aux traumatismes vécus, mais donner du sens à ce qui doit advenir. L’évènement n’a pas de signification, ce sont les hommes qui donnent la signification.
    • Le sens comme « orientation ». Pouvoir se donner un « orient ». Nous ne pouvons pas vivre longtemps sans cap. Nous avons besoin de nous projeter, en donnant du goût à notre vie d’aujourd’hui, avec ma vie qui souffre.

Se relever

  • Fait allusion à l’expression «  se relever d’entre les morts ». Comme Lazare a été réanimé par Jésus : «  Lazare sors dehors ! ». Se relever c’est sortir du désastre, du néant…Lazare sort avec ses bandelettes, il est encore lié, attaché…un autre les lui enlève. Quelles sont mes bandelettes ? Qui peut m’aider ? Puis le texte ajoute «  laissez-le aller » (encore les autres) : « laisser le partir à sa vie ». Ce sont les autres qui sortent Lazare du désastre.
  • Dans le tombeau, Jésus est plongé dans la mort. Dans un premier temps, il est descendu dans le Shéol, le néant, un temps où il semble que rien ne se passe. Dans le tombeau fermé, il est allé chercher les morts pour les relever avec lui. Jésus va chercher ce qui est mort en nous dans le tombeau fermé, pour nous « tirer » vers la vie : croire, aimer, se fier, vivre… C’est tout ça que le Christ va tirer à lui, avec lui le jour de la résurrection.
  • Jésus ressuscité est marqué dans sa chair par les traces des clous, mais cela ne l’empêche pas de vivre. Les brisures sont des marques qui font mal quand on appuie dessus. Mais elles n’empêchent pas de vivre.

Questions/Réponses

Peut-on ne pas se relever, même si on croit ?

On se relève selon son courage, ses compagnons, son vécu personnel…Parfois on ne se relève pas. L’accompagnant est là malgré tout sans vouloir être utile. C’est notre humanité. Tout est lié dans notre peau : éducation, traumatisme… Tout le flot des traumatismes se libère à chaque événement douloureux. Il est possible de se relever, mais nul ne sait ni le jour, ni l’heure…

Mariés pour le meilleur et pour le pire ?

Non, il n’est pas bon de vivre et mourir sous l’emprise de l’autre, d’être battu… Pas d’héroïsme, car ce n’est pas chrétien. Oui pour affronter ensemble les douleurs. Et si le lien produit le pire : il faut réfléchir. Nous sommes tous appelés à être des vivants, le Christ ne nous emmène pas dans la mort mais dans la vie.

Pardonner ?

De quoi s’agit-il ? « Un don par-dessus le mal ». Don de rester ou de redevenir vivant. Ne plus être attaché au mal. Se défaire de ce qui fait mal. Dans le divorce, le pardon ne doit pas être pensé de façon psychologique. Il s’agit de se défaire de ce que qui a fait violence, pour laisser aller l’autre à sa vie et pour moi aller à la mienne. C’est se séparer de ce qui a causé notre douleur, notre fracture pour aller son propre chemin. Sinon, la haine et la rancœur continuent à nous vriller. C’est un acte volontaire. Ce n’est pas forcément un effort mais un acte à un moment où on s’est dégagé, où on a retrouvé de la vie. Parfois il faut beaucoup de temps. Il ne faut pas s’en vouloir. Il n’y a pas de grands discours là-dessus.

Certitudes et sûretés ?

Les certitudes ne résistent pas à la vie. Elles sont figées. Certes magnifiques, mais à côté de la vie. Le réel ne rentre pas dans le cadre des certitudes. Se relever, c’est laisser ses certitudes culpabilisantes. Les sûretés sont à taille humaine et sans absolu. Dans l’épreuve, quels sont les compagnons surs, même maladroits ? La parole de Dieu est une compagne et non une doctrine. Les sûretés accompagnent les pas.

La colère est-elle toujours source d’énergie ?

Non, elle peut nous détruire, nous aveugler et faire du mal aux autres. Il convient de transformer sa colère en énergie. La colère est parfois la dernière marque que nous sommes vivants.

Etre accompagné

Certaines personnes sont vraiment isolées. Il y a de la chance, le hasard, et c’est parfois injuste. Se poser la question : moi, comme je suis, où je suis, comment j’essaie de me faire accompagner. Et à contrario, comment j’essaie de me faire compagnon, compagne ? C’est une force des communautés chrétiennes. Il y a cette solidarité des bras cassés.

Quel temps se donner pour discerner ses possibles ?

On mange, on boit, on discerne… Juste se donner du temps. Attention aux recettes (dvpt personnel très à la mode !) ; oui on a besoin de repères, mais sans caricature. Trouver des lieux où déposer les armes et ses fragilités en confiance ; se reposer. Dans la vie sociale il faut être fort, il y a du danger à être fragile, ou dire sa fragilité.